Dans un arrêt du 3 avril 2024, le Conseil d’Etat vient examiner si un bail en l’état futur d’achèvement (BEFA) constitue un contrat de la commande publique et plus spécifiquement un marché public, ce qui justifierait la demande initiale de la personne publique d’annuler ce bail en ce qu’il serait irrégulier.
Les faits de l’espèce ne sont pas communs puisqu’en 2017, un centre hospitalier a conclu un BEFA avec une société civile immobilière dans lequel il était prévu « la location au centre hospitalier de deux bâtiments existants après l’aménagement de l’un d’eux ainsi que d’un nouveau bâtiment à construire, pour une durée de quinze ans, avec une option d’achat après la douzième année ». Or, à l’achèvement des travaux, le preneur à bail (le centre hospitalier) a refusé de prendre possession des locaux, suspendu le paiement des loyers, puis a saisi le Tribunal administratif de Grenoble d’une action en contestation de la validité de ce contrat pour obtenir l’annulation ou, à titre subsidiaire, la résiliation.
Cette demande a été rejetée par le Tribunal mais la Cour administrative de Marseille a fait droit à la demande du centre hospitalier d’annulation en considérant dans son arrêt que le BEFA était en réalité un marché public de travaux dont le contenu était illicite ce qui justifiait l’annulation.
Saisi d’un pourvoi, le Conseil d’Etat a considéré que :
- Sur la nature du contrat : la position de la Cour est confirmée en ce qui concerne la requalification en marché public de travaux dans la mesure où « dès lors que l’ouvrage répondait aux besoins exprimés par le centre hospitalier », le centre hospitalier a exercé une influence déterminante, notamment en définissant des exigences précises d’implantation et d’aménagement intérieur, sur la conception de cet ouvrage ce qui justifie la qualification en marché public ;
- Sur l’illicéité d’une clause du contrat : Après avoir requalifié le BEFA en marché public, le Conseil d’Etat, comme précédemment la Cour administrative d’appel, retient que le caractère irrégulier de la clause prévoyant le règlement de loyers (et de « surloyers ») par le centre hospitalier au bailleur dans la mesure où il ne s’agit pas du versement immédiat d’un prix pour des travaux ce qui s’avère contraire au principe d’interdiction du paiement différé ;
- Sur les conséquences de l’illicéité : Retenant l’indivisibilité de la clause illicite (à savoir celle prévoyant le règlement de loyers au bailleur du centre hospitalier), il est retenu que « qu’eu égard à la nature de cette clause, le contenu du contrat présentait un caractère illicite et qu’un tel vice était de nature à justifier son annulation » et donc que c’est à raison que la Cour administrative d’appel a annulé ce marché.
Avec cet arrêt, le Conseil d’Etat vient donc confirmer le raisonnement de la Cour administrative d’appel de Marseille et surtout le principe selon lequel dès qu’une personne publique a une influence déterminante sur la réalisation de travaux, elle s’expose à ce que ce contrat soit requalifié en contrat de la commande publique (et notamment de marché public).
Dans le cas spécifique du BEFA, qui peut apparaitre comme intéressant pour les personnes publiques, il conviendra pour celles-ci de veiller à ne pas exercer une telle influence pour éviter cette requalification et les conséquences notamment avec le principe d’interdiction du paiement différé qui est contraire au principe de versement de loyers réguliers à une personne privée.
Conseil d’État, 3 avril 2024, « SCI Victor Hugo 21 », n°472476, Publié au recueil Lebon