Dans un arrêt du 30 décembre 2024, le Conseil apporte d’utiles précisions sur la prescription de l’action en responsabilité contractuelle du maître d’ouvrage public à l’encontre du constructeur.
En l’espèce, la Chambre d’agriculture de l’Orne avait conclu un marché public avec la société Chalumeau le 8 septembre 2009 pour le remplacement de 222 fenêtres d’un immeuble abritant ses bureaux. La société Chalumeau a sous-traité la commande des fenêtres à la société Prefal Production. En janvier 2010, les travaux ont été interrompus à la demande de la Chambre d’agriculture, qui n’a pas réceptionné les travaux en raison de nuisances sonores importantes liées au vent, imputées aux nouvelles fenêtres installées. Un constat d’huissier du 22 février 2010 a documenté ces nuisances, confirmant que le bruit était fort dans les pièces équipées de fenêtres neuves, avec « de fortes incursions dans les aigus », tandis qu’il était faible dans les pièces équipées d’anciennes fenêtres.
La société Chalumeau a demandé une expertise judiciaire auprès du tribunal de grande instance d’Alençon pour constater les désordres, en rechercher les causes et préconiser des solutions.
Le 7 septembre 2020, la Chambre d’agriculture de l’Orne a introduit une action devant le tribunal administratif de Caen, aux fins d’obtenir la condamnation solidaire des sociétés Chalumeau et Prefal Production à lui verser 354 042,02 euros TTC en réparation des préjudices subis, ainsi que diverses sommes supplémentaires pour des travaux non réalisés, des intérêts, des retards et des frais d’expertise.
Le tribunal administratif de Caen a rejeté cette demande par jugement du 8 juin 2022. La Cour administrative d’appel de Nantes a confirmé ce rejet le 15 décembre 2023 aux motifs de la prescription de l’action. La Chambre d’agriculture de l’Orne a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt.
Le Conseil d’État confirme que la prescription quinquennale court à partir de la date où la victime a une connaissance suffisamment certaine de l’étendue du dommage, même si le responsable n’est pas encore déterminé. En l’espèce, la date retenue par la Cour d’appel était celle du constat d’huissier (22 février 2010), ce qu’approuve le Haute juridiction administrative. Dès lors, la Chambre d’agriculture ne pouvait rechercher la responsabilité contractuelle du constructeur au plus tard le 22 février 2015.
Et la mesure d’expertise ne pouvait valablement interrompre la prescription à son profit. Si le délai de prescription est en effet interrompu par une assignation en justice, c’est à la double condition qu’elle émane de celui qui a qualité pour exercer le droit menacé par la prescription et de viser celui-là même qui en bénéficierait.
En laissant l’initiative à son cocontractant, la Chambre d’agriculture n’a pas valablement interrompu le délai de prescription.
De manière incidente, le Conseil d’état précise également que la Chambre d’agriculture ne peut rechercher la responsabilité quasi-délictuelle du sous-traitant de son propre cocontractant dès lors qu’elle a laissé prescrire l’action contre c e dernier. Conseil d’État, 7ème – 2ème chambres réunies, 30/12/2024, 491818