Marchés publics / Garanties postcontractuelles : interdiction d’appliquer par analogie des règles non prévues au contrat

CJUE, 5 juin 2025 – Miejskie Przedsiębiorstwo Wodociągów (C-82/24)

La Cour de justice de l’Union européenne nous apporte un éclairage intéressant sur l’efficacité de stipulations contractuelles non expresses en matière de marché public.

Un litige est né de l’exécution d’un marché public de travaux portant sur la modernisation d’une station d’épuration en Pologne. L’entité adjudicatrice avait confié à un consortium d’entreprises européennes la construction d’une station de traitement thermique de boues d’épuration, comprenant notamment deux récupérateurs installés sur deux lignes indépendantes d’incinération.

Après la réception des travaux, l’un des récupérateurs est tombé en panne et a dû être remplacé. L’entité adjudicatrice a alors réclamé au consortium le paiement de pénalités contractuelles et une indemnité pour mauvaise exécution. Le cœur du différend portait sur la question de savoir si un nouveau délai de garantie pouvait courir à compter de la livraison du nouveau récupérateur.

Le litige soulevait la question de savoir si l’on pouvait appliquer par analogie les règles nationales relatives à la garantie dans les contrats de vente -qui faisait partir un nouveau délai de garantie- alors même que ces règles ne figuraient pas explicitement dans le marché.

La Cour de justice de l’Union européenne a fermement écarté cette possibilité. Elle a jugé que l’application par analogie de dispositions nationales, notamment celles relatives à la garantie dans les contrats de vente, à un marché public de travaux est incompatible avec deux principes fondamentaux des marchés publics européens : le principe d’égalité de traitement et l’obligation de transparence.

La Cour souligne au contraire que de telles obligations ne peuvent être imposées au titulaire du marché que si elles figurent clairement dans les documents contractuels et sont suffisamment prévisibles pour un soumissionnaire diligent et raisonnablement informé.

La CJUE développe plusieurs arguments décisifs. Elle rappelle d’abord que la durée de la garantie et les conditions essentielles de sa mise en œuvre sont déterminantes pour l’établissement des conditions financières des offres. Ces éléments doivent donc être clairement définis au préalable et rendus publics, permettant ainsi aux soumissionnaires de comprendre exactement les conditions juridiques et économiques du marché et de s’assurer que les mêmes exigences valent pour tous les concurrents.

La Cour insiste particulièrement sur le fait qu’un soumissionnaire raisonnablement informé et normalement diligent doit être en mesure d’identifier, dès la phase d’adjudication, les événements susceptibles de prolonger le délai de garantie ainsi que l’étendue des obligations pouvant lui incomber. Dans les marchés de travaux, la mise en œuvre de la garantie peut en effet présenter un risque financier significatif pour l’opérateur attributaire.

La décision souligne également que l’application de modalités de garantie découlant de dispositions non directement applicables, mais issues d’une interprétation jurisprudentielle, serait particulièrement préjudiciable aux soumissionnaires établis dans d’autres États membres. Le niveau de connaissance du droit national et de son interprétation par ces opérateurs étrangers ne peut être présumé identique à celui des soumissionnaires nationaux.

Cette décision impose aux pouvoirs adjudicateurs une obligation de clarté et de précision absolue concernant toutes les obligations contractuelles, et particulièrement celles relatives aux garanties qui peuvent avoir des implications financières importantes.

En définitive, voilà une décision qui invite de nouveau les maîtres d’ouvrage à porter leur attention sur l’adéquation du contenu de leur contrat, au risque de ne pouvoir mobiliser les garanties escomptées en cas de désordres. Mieux valant prévenir que guérir, il sera sans doute prudent pour les maîtres d’ouvrage publics de procéder à une relecture attentive des stipulations de leur CCAP, sachant que le CCAG Travaux, y compris dans sa version 2021, ne vise pas expressément ni les articles 1792 et suivants du code civil, ni les « principes dont ils s’inspirent »… S’agissant d’ouvrages hébergeant un process, la démarche nous apparaitra cette fois indispensable afin d’assurer l’effectivité du régime protecteur imposé relativement récemment par le conseil d’Etat (CE 5 juin 2023, Société Rousseau, n° 461341). A vos contrats!

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Guimet Avocats

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